Festival de Cannes 2025 : la Palme d'or pour "Un simple accident", un doublé pour "L'Agent secret"... Ce qu'il faut retenir d'un palmarès très politique qui récompense l'audace

La 78e édition du Festival de Cannes – un très bon cru, audacieux, politique et créatif – s'est achevée le 23 mai avec un beau palmarès récompensant huit films sur les 22 longs-métrages en compétition.
Une compétition marquée par sa diversité géographique : 14 pays représentés dont la France avec trois longs métrages. La présence féminine y était encore timide mais il y a eu du mieux, avec sept réalisatrices en course pour la Palme d'or cette année.
Le jury n'a cependant récompensé que deux films réalisés par des femmes, The Sound of Falling, de Mascha Schilinski avec le Prix du jury et La petite dernière, de Hafsia Herzi avec le Prix d'interprétation féminine. La petite dernière est le seul film français récompensé cette année. Dominik Moll avec Dossier 137, et Julia Ducournau, avec Alpha, repartent sans prix.
Autre spécificité des films en course pour la Palme d'or cette année, leur engagement. Une dimension que le jury a saluée en décernant sa Palme d'or à l'Iranien Jafar Panahi et le Prix du jury à deux films audacieux, Sirat de l'Espagnol Oliver Laxe, et The Sound of Falling de l'Allemande Mascha Schilinski.
Aucun film américain n’a retenu l’attention des jurés. Ari Aster, qui présentait Eddington avec Joaquin Phoenix, Lynne Ramsay réalisatrice de Die, My Love avec Jennifer Lawrence, Richard Linklater, qui a rendu un hommage merveilleux à Jean Luc Godard dans Nouvelle Vague, ou encore la réalisatrice de The Mastermind, Kelly Reichardt, rentrent bredouilles.
Retour ce très beau palmarès qui célèbre le 70e anniversaire de la Palme d'or.
"Un simple accident" de Jafar Panahi : une Palme d'or très politique qui récompense une pépiteC'est donc un Iranien, 28 ans après Abbas Kiarostami, qui reçoit la Palme d'or cette année. Dès sa projection officielle le 20 mai, dédiée par Jafar Panahi à "tous les artistes iraniens qui ont dû quitter l'Iran", Un simple accident est grimpé en tête de tous les pronostics. Le jury n'a donc pas surpris en décernant la Palme à cette merveille cinématographique, qui allie poésie et message politique fort. Il a été réalisé dans des conditions extrêmes, clandestinement, par un réalisateur qui a déjà effectué deux séjours dans les geôles du régime islamique.
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Un simple accident revient sur la situation des prisonniers "politiques" en Iran. Le réalisateur nous embarque à bord d'une camionnette dans laquelle Vahid a enfermé un homme qu'il a reconnu comme son tortionnaire. À bord de l'estafette, une future mariée dans sa robe, son mari, leur photographe de mariage et un autre homme. Tous, anciens prisonniers, ont subi la violence de celui qu'ils appelaient "La guibole". Ils l'ont reconnu mais attendent ses aveux.
En recevant sa Palme d'or, entouré de toute son équipe en larmes, Jafar Panahi a appelé tous les Iraniens à oublier leurs différends, "parce que ce qui est important, en ce moment, c'est notre pays, et la liberté de notre pays", a-t-il déclaré.
"Soyons unis, soyons ensemble pour vivre ce moment où plus personne n'osera nous dire comment on doit s'habiller, ce que l'on doit dire, ou ce que l'on doit faire."
Jafar Panahilors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes
"Le cinéma est une société, personne n'a le droit de nous dire ce que nous devons faire, ce que nous devons dire", a-t-il conclu après avoir remercié sa famille et ses enfants "pour tout le temps où il n'était pas présent auprès d'eux pour faire son film".
Le jury a reconnu en Jafar Panahi un cinéaste qui sait mettre toute la puissance du 7e art au service du récit des tragédies humaines. L'an dernier, la récompense avait échappé à un autre Iranien dissident, Mohammad Rasoulof, qui avait dû se contenter d'un prix spécial.
Grand prix pour "Sentimental Value" de Joachim TrierLe jury a décerné le second prix le plus prestigieux du Festival à Sentimental Value de Joachim Trier pour la deuxième fois en compétition à Cannes après Julie (en 12 chapitres). Le film avait valu à Renate Reinsve le Prix d'interprétation féminine en 2021.
Le réalisateur norvégien obtient la récompense avec une chronique familiale qui met en scène un vieux réalisateur de cinéma qui tente de renouer avec ses deux filles. Il a décidé de tourner un film dans la maison familiale, qui est au centre de la narration, comme témoin de ce qui s'y joue depuis plusieurs générations.
Ce film confirme la virtuosité du réalisateur norvégien à diriger les acteurs, et à traduire à l'écran, dans une mise en scène limpide, la complexité des relations humaines."Ce film est porté par les acteurs, il est destiné à nous tous", a déclaré Joachim Trier en recevant son prix des mains de Coralie Fargeat, lauréate du Prix du scénario avec The Substance en 2024.
"Sirat" et "The Sound of Falling" : deux lauréats pour un Prix du jury ex aequo qui récompense l'audaceThe Sound of Falling a ouvert la compétition cannoise. Signé par la réalisatrice allemande Mascha Schilinski, le film est à la fois féministe et audacieux dans sa mise en scène. Il raconte les histoires des filles d'une famille sur plusieurs générations à travers la vie d'une maison. Cette variation temporelle à plusieurs voix offre un regard féminin sur le féminin, à la fois intime et universel, qui embrasse un siècle d'histoire.
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"Vos voix sont importantes, ne renoncez pas à votre travail, ne renoncez pas à vos projets", a déclaré la réalisatrice dans une adresse aux femmes. Elle a remercié tous ceux qui "ont cru en nous pour réaliser ce film libre de ses pensées, et de ses messages."
Sirat, l'autre Prix du jury, est "le" film de la compétition qui a secoué la Croisette. Cette épopée dans le désert marocain, qui met en scène Sergi Lopez dans le rôle d'un père à la recherche de sa fille, est un film sur la mort qui remet l'homme sa place. Un film aux pulsations techno, synchronisées avec le pouls d'un monde à la dérive.
"On vous a fait de tribus différentes pour que vous vous 'entre-connaissiez'", a déclaré Oliver Laxe citant Le Coran, en recevant son prix. "C'est ça que fait le festival de Cannes, c'est de rassembler plusieurs latitudes culturelles dans ce merveilleux jeu de miroirs qu'est le cinéma, qui nous apprend à toujours regarder le monde comme si c'était la première fois", a ajouté le réalisateur espagnol.
Le Prix spécial pour "Résurrection", le film dément du réalisateur chinois Bi Gan"À l'ouverture de chaque film, il y a une belle musique de Saint-Saens, et des marches, et des marches, qui montent du fin fond de l'eau, et qui arrivent vers le ciel où l'on aperçoit des milliers d'étoiles. Parfois on y trouve des merveilles, et dans ces merveilles il y a eu un film exceptionnel. On a décidé d'offrir un prix spécial à ce film", a déclaré Juliette Binoche avant de remettre elle-même son trophée à Bi Gan.
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Ce prix spécial récompense un film incroyable, qui donne à voir des séquences d'une beauté à couper le souffle. Sans doute le film le plus fou de la compétition, en termes de mise en scène et de décors, Résurrection raconte le XXe siècle à travers un voyage dans la fantastique imagerie du cinéma depuis ses origines.
Prix d'interprétation masculine décerné à Wagner Moura dans "L'agent secret"Le Prix d'interprétation masculine revient à Wagner Moura, dans L'Agent secret, un film qui a séduit presque à l'unanimité la Croisette. Le comédien s'est fait connaître pour son rôle dans la série Narcos. Il incarne Marcelo, un homme en cavale, qui se cache pour échapper à on ne sait quel danger précisément.
L'acteur brésilien porte avec une présence magnétique cette atmosphère étouffante qui pèse tout au long du film. "Wagner Moura est non seulement un acteur exceptionnel, mais il est aussi un être humain très particulier, je l'adore", a déclaré Kleber Mendonça Filho en recevant son prix pour l'acteur, absent de la cérémonie. "J'espère que ce prix lui apportera beaucoup de choses", a ajouté le cinéaste.
Prix d'interprétation féminine pour Nadia Melliti dans "La Petite Dernière"La jeune comédienne, qui a été castée par Hafzia Hersi dans le milieu du sport, incarne avec une puissance et une justesse étonnante pour une actrice débutante le personnage de Fatima, la cadette d'une famille d'immigrés algériens qui découvre son homosexualité. Le film suit pas à pas le chemin de la jeune fille vers l'émancipation. À travers ce destin intime, la réalisatrice et actrice Hafsia Herzi touche à des questions universelles, qui interrogent l'identité au sens large.
"Bonsoir tout le monde", a déclaré Nadia Melliti, droite dans ses bottes devant la large assemblée réunie pour cette cérémonie de clôture. "Il y a des émotions qui me traversent là, je ne saurais pas vous les décrire, mais elles sont incroyables", a-t-elle confié avant de remercier Hafsia Herzi, les autres comédiens du film, "la Staps" (la jeune femme est étudiante en deuxième année de licence de Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), et sa maman.
Prix de la mise en scène, une deuxième récompense pour le film de Kleber Mendonça FilhoL'agent secret de Kleber Mendonça Filho fait un doublé en obtenant le prestigieux Prix de la mise en scène après le Prix d'interprétation pour Wagner Moura. Le film raconte la vie sous une dictature, dans un récit une imprégné de mystère.
Le jury a salué une mise en scène qui mêle plusieurs registres – du polar au film d'espionnage, en passant par le cinéma fantastique – pour composer une signature cinématographique totalement singulière.
Le Prix du scénario pour le duo chouchou du Festival de CannesLe Prix du scénario a été décerné à Jean-Pierre et Luc Dardenne pour Jeunes Mères, un film bouleversant sur la maternité précoce. Le film s'attache à cinq personnages, Jessica, Perla, Julie, Ariane et Naïma, toutes les cinq accueillies dans une maison maternelle où on les aide à faire les premiers pas dans leur vie de jeunes mères.
Les frères Dardenne obtiennent ainsi une nouvelle distinction dans un festival qui soutient leur travail depuis longtemps. "Le Festival de Cannes a été une très bonne maison maternelle pour nos films", assurait Luc Dardenne dans un entretien à franceinfo Culture quelques jours avant le festival.
"Le scénario, c'est le point de départ d'un film, mais celui-ci ne serait rien sans les jeunes actrices, sans ces cinq jeunes filles, alors merci à vous cinq", a déclaré Luc Dardenne. Jeunes mères est le dixième film des frères Dardenne en compétition à Cannes. L'inséparable duo a déjà obtenu deux Palmes d'or, la première en 1999, pour Rosetta, qui avait révélé l'actrice Emilie Dequenne, disparue en mars, et la deuxième, en 2005, pour L'Enfant.
La Caméra d'or pour un premier film irakienThe President’s Cake de Hasan Hadi remporte la Caméra d'or, une récompense transversale qui honore le réalisateur d'un premier film choisi dans la sélection officielle et les sections parallèles (Compétition, Un certain regard, Quinzaine des réalisateurs et Semaine de la critique). Tourné en Irak avec une distribution irakienne, The President's Cake est l'un des rares films produits dans le pays depuis des décennies.
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"Les enfants n'ont pas de préjugés", a déclaré Hasan Hadi, rencontré à Cannes par franceinfo Culture. Le long métrage raconte l'histoire dans les années 1990 de la petite Lamia, chargée de confectionner le gâteau du président pour le compte de sa classe. La mission culinaire devient une question de vie ou de mort pour la fillette, embarquée dans l'aventure avec son ami Saeed. À travers l'odyssée de ces deux enfants, Hasan Hadi dresse le portrait d'un pays où rien ne va plus.
Palme d'or du court-métrageLa Palme d'or du court-métrage récompense Glad You're Dead Now, un film franco-greco-palestinien, de Tawfeek Barhom, qui raconte l'histoire de deux frères de retour sur l’île de leur enfance, où des secrets enfouis et des tensions pesantes les obligent à affronter un passé sombre qui les lie. "Dans vingt ans, on ira dans la bande de Gaza en essayant de ne pas penser aux morts", a déclaré le réalisateur en recevant sa palme.
Deux Palmes d'or d'honneur pour Robert de Niro et Denzel WashingtonSi la Palme d'or d'honneur de Robert de Niro était attendue, celle de Denzel Washington pour l'ensemble de sa carrière a été une vraie surprise. Elle lui a été remise par Spike Lee, son complice de cinéma depuis ses débuts, à l'occasion de la présentation hors compétition de Highest 2 Lowest, son nouveau film.
Les autres prixLa section Un certain regard, qui s'attache à mettre en lumière des découvertes, a récompensé le 23 mai Le Mystérieux regard du flamant rose, le premier long-métrage du Chilien Diego Céspedes. Le film du cinéaste de 30 ans raconte l'histoire d'un groupe de femmes transgenres dans un village isolé du désert chilien, qui doit faire face à une mystérieuse maladie.
Dans les sections parallèles, la Semaine de la critique a couronné Fantôme Utile ("A Useful Ghost"), le premier film du réalisateur thaïlandais Ratchapoom Boonbunchachoke. Le Prix French Touch du jury de la Semaine est allé à Imago, premier film tchétchène à être présenté à Cannes. Déni Oumar Pitsaev, que franceinfo Culture a rencontré sur la Croisette, a également décroché l’Œil d’or, prix décerné chaque année au meilleur documentaire du Festival toutes compétitions confondues.
Le Choix du public de la Quinzaine des cinéastes s'est porté sur The President’s Cake de Hasan Hadi. La Danse des renards, de Valéry Carnoy, a reçu Le Coup de cœur des auteurs de la SACD. Et enfin, le jury du prix Queer Palm 2025, présidé par Christophe Honoré, a récompensé le 23 mai La Petite Dernière de Hafsia Herzi.
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